Welcome Gorby

Renaud Séchan

Il est pas né le mec qui m'f'ra
Dire qu'j'ai d'la tendresse pour les rois
Ou pour les chefs
Z'ont tous mérité dans l'histoire
Les foudres de mon encre noire
Mais Gorbatchev
Est un p'tit bonhomme épatant
Contre qui je n'ai pour l'instant
Aucun grief
Personne méritait plus que lui
L'prix Nobel de la pénurie
Et de la dèche

Welcome Gorby, bienv'nue ici
Où on est quelques-uns, je crois
Un copain à moi et pi moi
A espérer
Que tu vas v'nir avec tes blindés
Nous délivrer

T'as fait tomber le mur de Berlin
Si tu sais pas quoi faire des parpaings
Pour ta gouverne
Y'a d'la place ici, mon pépère
Autour de tous les ministères
Toutes les casernes
ça évit'ra qu'le populo
Un jour nous pende tous ces barjots
A la lanterne
Quoiqu' pour une fois ça s'rait justice
De contempler ces pauvres sinistres
La gueule en berne

Ici y'a des chaînes à briser
Commence par les chaînes de télé
Ca serait Byzance
Que tu nous débarrasses un peu
De ce "Big Brother" de mes deux
J'te fais confiance
Tu pourras aussi liquider
Les radios FM à gerber
Qui nous balancent
De nos chanteurs hydrocéphales
Et de leur poésie fécale
Toute l'indigence

Welcome Gorby, bienv'nue ici
Où on est quelques-uns, je crois
Un copain à moi et pi moi
A espérer
Que tu vas v'nir avec ton armée
Tout balayer

Tu peux construire, si tu t'amènes
Quelques goulags au bord de la Seine
De toute urgence
Ici y'a un paquet d'nuisibles
Qui nous font péter les fusibles
De la conscience
Des BHL et des Foucault
Pas l'philosophe, non, l'autre idiot
Des Dorothées
Fort sympathiques au demeurant
Je dirais plus exactement
Aux demeurés

Welcome Gorby, bienv'nue ici
Où on est quelques-uns, je crois
Un copain à moi et pi moi
A espérer
Que tu vas v'nir claquer l'beignet
A ces tarés

On a ici, c'est bien pratique
Quelques hôpitaux psychiatriques
Qu'tu peux vider
Pour y foutre les psychanalystes
Les députés, les journalistes
Et les Musclés
Ca va te faire un sacré boulot
Mais si tu veux des collabos
Faut pas t'miner
Tu sais, à part dans mon public
En chaque français sommeille un flic
T'as qu'à piocher

Si t'en as marre du communisme
J'te raconte pas l'capitalisme
Comme c'est l'panard
Comment on est manipulés,
Intoxiqués, fichés, blousés
Par ces connards
Viens donc contempler nos idoles
Elles sont un peu plus Rock and Roll
Que ton Lénine
Bernard Tapie et Anne Sinclair
'vec ça tu comprends qu'not'misère
Soit légitime

Welcome Gorby, bienv'nue ici
Où on est quelques-uns, je crois
Un copain à moi et pi moi
A espérer
Que tu vas v'nir éliminer
Nos enfoirés

Welcome Gorby, bienv'nue ici
Où on est quelques-uns, je crois
Un copain à moi et pi moi
A supposer
Que si tu v'nais avec tes blindés
Y voudraient sûr'ment pas rester ...

Toute seule à une table

(Renaud Séchan / J.L. Roques)

Toute seule à une table
Si c'est pas gâché
T'es encore mettable
Pas du tout fanée
T'as quoi? Quarante-cinq?
Allez cinquante balais
Tu fais beaucoup moins que
Ta montre, ton collier

Ça fait bien une plombe
Que j'te mate en douce
Dans c'resto plein d'monde
Que tu éclabousses

De ce charme obscur
Qui parfois nous pousse
Vers les femmes mûres
Et aussi les rousses

Toute seule à une table
Si c'est pas gâché
T'as les yeux du diable
Pi t'as l'air gaulée

Comme un château d'sable
Avant la marée
Comme un dirigeable
Avant les pompiers

C'est pas un lapin
Qu'on t'aurait posé
Tu r'gard'rais tes mains
Et la porte fermée

Tu boirais du vin
Tu s'rais maquillée
T'attends p't'être un chien
Pas un fiancé

Toute seule à une table
Si c'est pas gâché
Belle et misérable
Quel est ton secret
Derrière le rideau
De tes yeux baissés
Quel est le salaud
Qui te fait pleurer

A la façon qu't'as
D'jamais m'regarder
A mon avis c'est moi
Qui t'fais chavirer

Ou alors c't'un drame
Trop dur à percer
Comme la cellophane
Autour d'un CD

Toute seule à une table
Si c'est pas gâché
Et ce mec minable
C'est lui qu't'attendais?

Ma parole je rêve
Y va t'embarquer
Sans finir ton chèvre
Sans boire ton café

Y doit être chausseur
Et toi sa vendeuse
Tu regardes l'heure
Et t'as l'air heureuse

Si un jour j'te chope
J'te l'dis dans les yeux
Le malheur salope
Te va beaucoup mieux!

Miss Maggie (v. anglaise)

(Renaud Séchan / J.P. Bucolo / adaptation Tim Daly)

Women of the world or streets
So very often just the same
I love every one I meet
Have they fame or be they plain

Down to the last stupid crow
I praise with every word I utter
I'm disgusted by men now
With their morals from the gutter

'Cause there's no woman in this land
Quite as stupid as her brother
Nor so vain or underhand
Except, maybe, Madame Thatcher

Lady I love you now, I do
'Cause when a sport becomes a war
There's no girls, or very few
Amongst those fans who yell for more

Those fanatics of the games
Be and hate just as they mean
They call the over side such names
And make such calls on their own teams

There is no female hooligan
Imbecilic, filled with murder
No, not even in Britain
Except, for sure, Madame Thatcher

I love woman just because
When she's sitting at the wheel
There's no man-like sense of loss
No urge to kill is yours to feel

For a slightly damaged headlight
Or for two fingers in the air
There are those who wish to fight
To the death if they but dare

An "up yours" their favourite sign
There's no woman so vulgar
To use this symbol all the time
Except, perhaps, Madame Thatcher

How I love you, dear woman
You don't go to war to die
Because the vision of a gun
Does not make you pant and sigh

With those hunters of the night
Who turn on creatures that are frail
Or retire on their gun sight
I've yet to see a female

There is no woman low enough
To spit and polish a revolver
Just to feel so bloody tough
Except, for sure, Madame Thatcher

The atom bomb was never made
By a human female brain
And no female hand has slayed
Those U.S. peoples of the plain

Palestinians and Armenians
Bear their witness form the grave
That a genocide is masculin
Like a SS or a Green Beret

In this bloody mass of man
Each assassin is a brother
There's no woman to rival them
Except, of course, Madame Thatcher

And lastly Woman, above all
I love hour gentleness so mild
A man draws strength from his own balles
Which like his gun he shoots from wild

And when the final curtain draws
He'll join the cretins in the harvest
Playing football, playing wars
Or who can piss the farthest

I would join the doggic host
And love my days on earth
As my day to day lampost
I would use Madame Thatcher.

Ourson prisonnier

(Pierre Grosz / Henri Dès)

Un ourson en liberté, c'est mignon
Un ourson dans la forêt, c'est trognon
Dans les champs, dans les vallons
Sortant du creux des buissons
Respirant à pleins poumons
L'air de la terre qui sent bon
C'est mignon

Mais quand il est enfermé
Même un papillon léger
Qui lui vole sous le nez
Est plus heureux que l'ourson
Prisonnier
Prisonnier

Un ourson en liberté, c'est mignon
Un ourson au bout du pré, c'est trognon
Finissant de grignotter
Les noix qu'il vient de casser
Ou le museau barbouillé
De fraises des bois écrasées
C'est mignon

Mais quand il est enfermé
Une petite souris pressée
Qui lui court entre les pieds
Est plus heureuse que l'ourson
Prisonnier
Prisonnier

Un papillon tout léger
Une petite souris pressée
Peuvent traverser le fossé
Oui, mais pas le pauvre ourson
Prisonnier
Prisonnier

Sidi H'Bidi

(Traditionnel)

Haïli haïli sidi h'bibi faïn houa (bis)

Sidi h'bibi ahoua
Massah'rini ahoua
Lam'hazbini ahoua
Oua h'bibi malou oun'sani

Haïli haïli sidi h'bibi faïn houa (bis)

Ana m'rid ana m'rid
Hata m'rid mabia

Haïli haïli sidi h'bibi faïn houa (bis)

Ijini oua ijini oua ijini bah'ma

Haïli haïli sidi h'bibi faïn houa (bis)

Sidi h'bibi ahoua
Massah'rini ahoua
Lam'hazbini ahoua
Oua h'bibi malou oun'sani

Haïli haïli sidi h'bibi faïn houa (bis)

Fanny de la Sorgue

(Renaud Séchan)

Dans l'eau de la Sorgue Fanny
Ne se baignera plus jamais
La rivière pleure dans son lit
Sa Fanny toute rhabillée

La belle n'ira plus dans l'eau
Depuis cent ans elle se cache
A l'ombre d'un joli tableau
Qu'un amant fit d'elle à la gouache

Et c'est au bistrot désormais
Qu'on peut voir dans l'angle d'un mur
Le cul de Fanny dévoilé
Promettant la bonne aventure

Au bord de la Sorgue où Fanny
S'en allait se baigner jadis
Sous les platanes du midi
Les boules de pétanque glissent

Que je pointe ou bien que je tire
Les miennes finissent dans l'herbe
Je pourrais mieux faire mais faut dire
Je triche un petit peu pour perdre

Pour pouvoir un jour dans ma vie
Honorer ces divines fesses
Un genou en terre pardi
Ainsi qu'on célèbre une messe

Quel est le crétin misogyne
Qui décréta, punition
Honteuse ridicule indigne
Cette noble communion

Cette intimité que je souhaite
De mes lèvres avec ce cul
Qui récompense la défaite
Qui ne brille que pour les vaincus

M'est avis que ce pauvre naze
Dut passer sa vie à prier
A genoux pour que sa bourgeoise
Lui offre pareil bienfait

Au Pays des Sorgues Fanny
Peut se vanter d'avoir fait mettre
Un genou à terre à celui
Qui pour aucun dieu ou maître

Nulle loi nulle discipline
Qui devant nulle autorité
N'aurait jamais courbé l'échine
Jamais n'aurait capitulé

Je me prosternerai encore
Bien plus et sans honte jamais
Pour un autre bout de ton corps
J'irai Fanny jusqu'à ramper...

Touche pas à ma soeur

(Renaud Séchan / J.J. Cale)

Chanteur
Gentil, poli, bon coeur
Qu'est-ce t'as fait à ma p'tite soeur
Tout à l'heure
J'l'ai vu pleurer toute seule
En écoutant ton single

D'puis qu'elle t'a découvert j'te jure
Elle a déjanté la pauvre
Elle découpe toutes les couvertures
Des torchons où tu poses

Ca m'écoeure
Elle a dans son larfeuille
Une photo d'toi en couleur
Elle a un poster
De toi sur ton chopeur
Avec un sourire de voleur

D'puis qu'elle craque pour ton rock-n-roll
A la mord moi l'tympan
Elle en fout plus une rame à l'école
Et elle chante même en dormant

Chanteur
Je vais faire un malheur
Si tu fais souffrir ma p'tite soeur

Elle t'a vu l'aut' jour chez Pivot
A l'émission sur Babar
A 7/7 et chez Foucault
Elle t'a trouvé un peu hard

Chanteur
Dans douze ans ma p'tite soeur
Sera quasiment majeure
Mais pour l'heure
J'veux surtout pas qu'elle pleure
D'amour pour un p'tit branleur

Chanteur
T'as six ans comme ma soeur
Qu'est-ce qu'i' font tes parents? producteurs
Et ben dis leur
Que les pires des dealers
C'est ceux qui r'fourguent leur merde aux mineurs

Camionneur Rêveur

(Jean Luc Morel - FNACEM / Claude Engel)

Je suis un géant sur les routes
J'avale les villes comme des casse-croûtes
Paris Marseille via Valence
Pour un poids lourd c'est p'tit la France

Moi qui aime tant la nature
Je sème des hydrocarbures
Sur les autoroutes à péages
En attendant l'prochain garage

Dans mon rétro rétroviseur
Je suis bien trop bien trop rêveur
Dans mon rétro rétroviseur
J'imagine une vie sans compteur

Je suis un drôle de camionneur

Les p'tits poucets qui lèvent le pouce
Voudraient m'arrêter dans ma course
Mais le mouchard dans mon moteur
N'aime pas trop les autostoppeurs

Quand la radio joue en sourdine
Souvent je rêve dans ma cabine
Je plane les mains sur le volant
J'oublie mon gros cul d'éléphant

Dans mon rétro rétroviseur
Je suis bien trop bien trop rêveur
Dans mon rétro rétroviseur
J'imagine une vie sans compteur

Je suis un drôle de camionneur

Dans mon rétro rétroviseur
Je suis bien trop bien trop rêveur
Dans mon rétro rétroviseur
J'imagine une vie sans compteur

Je suis un drôle de camionneur

Dans mon rétro rétroviseur
Je suis bien trop bien trop rêveur
Dans mon rétro rétroviseur
J'imagine une vie sans compteur

Viens chez moi, j'habite chez une copine

(Renaud Séchan)

(Musique originale du film « viens chez moi j'habite chez une copine »
avec Bernard Giraudeau
et Michel Blanc réalisé en 1980.
Paroles et musique Renaud Séchan.

J'ai l'coeur comme une éponge
Spéciale pour fille en pleurs
Heureus'ment pa'c'que ma tronche
C'est pas vraiment une fleur
J'emballe tout c'qui s'présente
Les cousines les belles-soeurs
J'ai l'démon du bas ventre
Mon métier c'est dragueur
Dés que j'rencontre une frangine
J'lui dis salut toi ça va

Viens chez moi j'habite chez une copine
Sur les bords au milieu c'est vrai qu'je crains un peu

Je glande un peu partout
Avec mon sac de couchage
Je suis dans tous les coups foireux
Tous les naufrages
J'ai des potes qu'ont d'l'argent
Ben y travaillent c'est normal
Moi mon métier c'est feignant
Hé mec t'as pas cent balles
J'ai des plans des combines
Pour vivre comme un pacha

Viens chez moi j'habite chez une copine
Sur les bords au milieu c'est vrai qu'je crains un peu

J'ai même été étudiant
Chômeur baby-sitter
Quand j'pense que mes parents
Voulaient qu'je sois docteur
Parfois quand j'ai du blé
Je flambe comme un malade
L'pognon j'l'ai pas gagné
Mais non mon métier c'est minable
Ouah super la rouquine
Hé salut toi ça va

Viens chez moi j'habite chez une copine
Sur les bords au milieu c'est vrai qu'je crains un peu

Hé viens chez moi j'habite chez une copine
J'ai mon mat'las dans la cuisine
Alors tu viens si tu veux, tranquille
Allez viens

Viens chez moi j'habite chez une copine
Allez viens la frangine
Allez viens
Non? ah bon! d'accord

P'tit déj' blues

(Renaud Séchan)

Ben voilà la galère
C'est r'parti pour un tour
Carrément comme hier
J'suis encore à la bourre
Pendant c'temps ma gonzesse
Doit sortir de sa douche
Se fringuer en vitesse
Et se peindre la bouche
Et oublier peut-être
Que les yeux pleins de neige
Ce matin c'est son mec
Qui a fait son p'tit dej'
Son p'tit dej'

Ben voilà la galère
j'enfile ma camionette
J'vais bouffer d'la poussière
J'en ai déjà plein les guêtres
Je suis mal dans mes grolles
Et mal sur ma banquette
Et ces putains d'bagnoles
Qui me ruinent la tête
Pendant c'temps ma gonzesse
Baptise le plumard
Et regarde ses fesses
Dans la glace de l'armoire
De l'armoire

Ben voilà la galère
Marné pendant huit plombes
J'irai m'jeter une bière
T't'à l'heure à la Rotonde
J'appellerai ma gonzesse
Pour lui dire que tout baigne
Mais non j'suis pas chez une maîtresse
J'suis au bistrot et j't'aime
J'lui dirai n'oublie pas
ce soir d'acheter du pain
Sinon y'en aura pas
Pour son p'tit dej' demain
Demain

Zenobe

(P. Dewez/R. Grahame)

Zénobe attend, il a 15 ans
Il se pique et il se came
Pic et pic et collégram
Il sent qu’il dose, sa dose
Il s’dit souvent, qu’c’est qu’un passe-temps
Au milieu de cette vie
Où tout n’est que pacotille
Rien qu’du cinoche, c’est moche

Il prend sa neige, prend sa blanche neige
Et tant pis si le temps s’enfuit

Zénobe attend, il a 20 ans
Et pour s’envoyer en l’air
Cette aiguille, ce bout de fer
Qui l’ankylose, il ose
Il s’dit parfois, qu’ça lui passera
Mais c’est une sacrée belle fête
Tous ces arbres à came en tête
Qui font qu’la vie, dévie

Il prend sa neige, prend sa blanche neige
Et tant pis si le temps s’enfuit

Zénobe attend, il a 30 ans
Souvent dans sa veine bleue
Il enfonce tout ce qu’il peut
Il continue, sa mue
Il s’dit qu’la vie, elle est pourrie
Quand il regarde devant
Il voit des sables émouvants
Et d’la poussière, derrière

Alors il prend sa neige, sa dernière neige
Et tant pis si la vie s’enfuit.

 

La petite vague qui avait le mal de mer

(Renaud Séchan)

Il était une fois une petite vague, perdue au milieu de l'océan, Une petite vague de rien du tout, quelques centimètres de haut, à peine plus large; Une petite vague insignifiante et anonyme, ressemblant comme une goutte d'eau aux millions de petites vagues voyageant sur les mers depuis des millions d'années, aux grés des vents et des marées. Mais, vous vous en doutez, si je vous raconte ici son histoire, c'est qu'elle était différente de ses petites soeurs; Pas physiquement non, mais dans son petit coeur de petite vague, cette petite vague avait bien du vague à l'âme.

Son papa et sa maman étaient deux grosses vagues, énormes et rugissantes, deux magnifiques déferlantes qui s'étaient croisées une nuit de tempête, L'abandonnant aussitôt née à son destin de vaguelette orpheline et désemparée. Son père avait été plus tard emporté dans un ouragan, s'était accroché à un cyclone, et dans un tonnerre d'écume et de vents, était parti ravager les terres les plus proches, d'où il n'était jamais revenu. Sa mère, poussée par un vent du nord, connut une fin toute aussi aventureuse, mais bien plus sympathique. Les courants marins la portèrent jusqu'aux côtes d'un pays si chaud qu'elle s'évapora, monta au ciel en millions de gouttes d'eau. Et, après avoir voyagé dans un gros nuage lourd, retomba en pluie sur des terres arides, où, la vie, absente par manque d'eau, revint bientôt.

Depuis des siècles qu'elle ondoyait à la surface de l'eau avec pour seul compagnie l'écume et le vent, avec pour seul horizon l'horizon, pour seul spectacle celui du jour se levant et du soleil couchant, La petite vague s'ennuyait à mourir et ne supportait plus de vivre au milieu de l'océan. Bref, la petite vague avait le mal de mer.

Elle avait bien eu parfois des années auparavant la visite de quelques baleines venues percer la surface de l'eau, dans une grand geyser d'écumes et des milliards de gouttes d'eau s'éparpillant dans le ciel comme une pluie de diamants. Mais les baleines chassées par les hommes avaient bientôt disparu elles aussi. Sa vie s'écoulait monotone.

Au fil des jours de calme plat et des nuits de tempête, la petite vague attendait vaguement sans trop y croire un miracle météorologique qui l'emporterait vers d'autres cieux. Elle redoutait par dessus tout ces nuit de pleine lune, où l'océan devient lisse comme un miroir, où même le vent ne chante plus, où les vagues, petites et grosses, s'aplatissent jusqu'à se confondre en une immense étendue d'eau infinie, immobile et sans vie.

Elle n'aimait pas non plus la houle qui la faisait rouler, craignait les ouragans qui la malmenaient, et se méfiait des mers démontées ou hachées, qui risquaient de la séparer de ses amies, les petites vagues insouciantes qui l'accompagnaient, insensibles, elles, au vague à l'âme et au mal de mer.

La petite vague n'avait jamais vu un bateau, la petite vague n'avait jamais vu un baigneur, ni le moindre pédalo, jamais vu le bord de l'eau. La petite vague en avait par dessus la crête de passer sa vie à faire des vagues. La petite vague écumait de rage, de n'avoir jamais vu la plage. Elle rêvait qu'un vent malin viendrait un jour la conduire sur la sable doré d'une plage ensoleillée. Ah... enfin pouvoir rouler, chanter, rebondir et me briser sur les galets, se jéter à l'eau, venir chatouiller les doigts de pieds des enfants, entendre leurs cris à mon approche. Aller, venir, descendre et remonter, m'éparpiller au milieux des coquillages, des algues et des petits poissons argentés. Me reformer en grondant pour de rire, en faisant semblant d'attaquer, et repartir en emportant un ballon oublié et puis, le ramener dans un tourbillon de mousse et d'eau salée.

La petite vague pensait aux vacances qu'elle ne connaîtrait jamais, lorsqu'une grosse vague, à quelques brasses d'elle cria: "Terre à l'horizon". La petite vague n'en crut pas ses oreilles. Elle se précipita vers sa grande soeur, se hissa sur son dos, et distingua vaguement à l'horizon la ligne sombre d'une terre inconnue. Elle recommença l'opération une deuxième fois, puis une troisième. A chaque fois un élément nouveau lui apparu, une ville, un port, une plage.

Les courants maintenant la tirait vers la terre, la charriait comme un fétu de paille poussé par le vent. Elle sentit bientôt son eau se réchauffer et l'air marin se charger des odeurs de la terre. Pour la première fois de sa vie, la petite vague respirait le parfums des forêts, des villes et des campagnes, des animaux et des hommes.

Elle en fut d'abord émerveillée; puis l'émerveillement fit place à l'étonnement; enfin à la déception. Les odeurs nauséabondes de gaz carbonique qu'elle découvrait lui rappelait étrangement celle des nappes de pétroles qu'elle avait parfois croisé dans sa longue vie de petite vague au milieu de l'océan. Et comme elle pensait à cela, déterminée malgré tout à atteindre cette plage dont elle rêvait depuis si longtemps, elle rencontra une de ces nappes de pétrole, dérivant au fil de l'eau, au gré des courants et s'y englua. Elle réussit à s'en échapper après bien des efforts, aidée par un courant ami qui l'emmena bientôt presque au bord de la plage. Des enfants s'y amusaient; des adultes allongés, immobiles semblaient y dormir, insouciants du soleil qui leur brûlait la peau. Des chiens couraient, des mères criaient après leur enfants, des papas après mamans. Des adolescents faisaient hurler leurs transistors, et les baraques à frites enfumaient le tout d'une odeur d'huile chaude qui se mêlait a celle dont les corps étaient enduits.

La petite vague ralentit son avance. Elle rencontra bientôt une eau saumâtre, mais personne ne lui dit qu'il s'agissait des égouts de la ville qui se déversaient là. Elle croisa quelques bouteilles en plastique, des sacs poubelle, des détritus de toutes sortes, fut presque coupée en deux par un gros monsieur rougeaud hissé sur une planche à voile, avant de s'échouer enfin au bout de son voyage au bout de son rêve, sur le sable grisâtre de la plage, au milieu des tessons de bouteilles des capsules de bières, des châteaux écroulés des enfants agités.

Jamais le vague à l'âme de la petite vague n'avait été si grand. Elle ne s'attarda guère sous les pieds palmés. Quelques aller-retour à brasser les ordures, et elle s'enfuit dans le sillage d'un bateau à moteur qui frôlait les baigneurs, rejoindre le grand large qu'elle regrettait déjà d'avoir quitté. Alors qu'elle longeait la côte, suivie de près par quelques amies vaguelettes, aussi déçues qu'elle par la fréquentation des humains, elle entendit, venant de la terre, des petits cris stridents, à peine perceptibles, presque des sifflements.

Ils n'avaient rien de commun avec les cris des enfants braillards de la plage. La petite vague avait déjà entendu ces cris quelques années auparavant, peut être quelques siècles, un jour que les dauphins étaient venus la frôler, courir sous elle, jouant dans son écume, brisant sa crête de leurs ailerons pointus. Comment les cris d'un dauphin pouvaient ils venir de terre ?

La petite vague se dirigea de nouveau vers la côte, guidée par les sifflements comme un navire perdu dans la nuit, et guidée par la lueur du phare. Derrière une digue, se dressaient les hauts murs d'un marinland.

La petite vague ignorait qu'on enfermait des orques et des dauphins dans des bassins pour le plaisir des petits terriens. Mais, il ne fut pas nécessaire de lui faire un dessin; elle compris vite que les créatures marines étaient prisonnières ici. A l'instant où, provenant distinctement de derrière ces murs, les sifflements reprirent, elle vit bondir en l'air un magnifique dauphin gris argenté, qui, après avoir semblé s'immobiliser une fraction de secondes dans le ciel, retomba dans un grand SPLASH dans son bassin prison. Un tonnerre d'applaudissements accompagna la pirouette.

La petite vague n'avait pas rêvé. Le dauphin, dans son bond majestueux, avait tourné la tête vers la mer, et son regard triste avait croisé le sien. Ce regard avait lancé un SOS, avait jeté une bouteille à la mer avec comme message: "Vient me délivrer".

La petite vague, qui n'aimait pourtant pas faire de vagues, décida aussitôt qu'il fallait agir. Elle commença par alerter toutes les petits vagues qui voguaient autour d'elle, en leur recommandant d'alerter à leur tour toutes les vagues des alentours, jusqu'au fin fond de l'océan.

Bientôt de grosses vagues arrivèrent, guidées par la rumeur qui s'amplifiait en se colportant de vague en vague, selon laquelle une toute petite vague de rien du tout voulait attaquer la côte, pour délivrer un dauphin prisonnier de la terre. L'histoire fit grand bruit, le vent la fit voyager de port en port, et devant l'importance de la tâche à accomplir, devint bourrasque, vent de folie, vent de tempête.

Le soir venu, l'océan entier était en furie. Des vagues hautes comme des maisons étaient venues prêter main forte à la petite vague, qui en oublia du coup son vague à l'âme, son mal de mer. Les vents, les courants et les vagues se jetèrent alors sur la côte, et cette nuit fut une nuit de tempête comme aucune nuit, aucune mer n'en connurent jamais.

Les hommes se cachèrent dans leur maison, volets fermés; les bateaux de pêcheurs rentrèrent bien vite au port, où, malgré l'abris des digues et des jetées, leurs amarres furent malmenées. Mais le plus fort de l'assaut du vent et de l'eau fut contre les murs du marinland.

Des déferlantes vinrent s'y briser dix fois, cent fois. Des murs d'eau salée poussés par des vents furieux et des courants déchaînés, vinrent en lézarder les fondations, en briser le fait, jusqu'au moment où, dans un grand fracas, les murs des bassins cédèrent sous ces coups de boutoir.

Le reflux d'une vague gigantesque entraîna avec lui les murs en miettes. La vague suivante emporta avec elle dauphins, orques, otaries et autres morses, tous ces mammifères marins désormais libres de regagner leur élément naturel, l'océan immense, la liberté.

Presque aussitôt, le vent tomba et la mer se calma. La tempête avait duré quelques heures, et n'avait finalement fait d'autres ravages, que sur les murs de cette prison désormais vide. La petite vague repartie au large, avec ses grandes soeurs qui bientôt se calmèrent, s'arrondirent, puis s'aplatirent jusqu'à ne plus devenir qu'un léger clapotis à la surface de l'eau. Les dauphins s'éloignèrent aussi de la terre, et disparurent à l'horizon, d'où ils ne revinrent jamais.

Si un jour, en mer, tu vois passer un banc de dauphins, comme il arrive souvent qu'ils viennent, peu rancuniers envers les hommes, jouer le long de l'étrave des navires, Regarde bien derrière eux, dans leur sillage. Tu verras toujours une petite vague, qui les accompagne; Une petite vague insouciante et joyeuse; Une petite vague amoureuse des animaux libres dans l'océan. Une petite vague qui n'a plus de vague à l'âme, Et plus de mal de mer...